Cinq mois, mer noire et p’tits déboires - Km 7804,58

Ça y est. Nous y sommes. La mer noire. Sous la pluie et le ciel gris, mais la mer noire quand même ! Quoique pour notre arrivée, le soleil a régalé de quelques percées. Toujours très impressionnant d’arriver près de ces grandes étendues d’eaux, ça génère une certaine émotion. On a l’impression d’avoir atteint quelque chose ; sans doute parce qu’on ne peut physiquement pas aller plus loin. C’est la fin de la terre, cette surface accueillante à nos godasses ou pneus de bicyclettes. Nous avions eu un sentiment assez comparable lorsque nous nous étions retrouvés nez à nez avec l’Adriatique à Koper en Slovénie, il y a quelques mois. Nous arrivons donc là devant cette immensité. Cette couleur intense, ce mouvement perpétuel générant une musique sans fin. On ne peut résister à l’émotion. Pour nous, c’est aussi une sorte de repère symbolique. Nous avons traversé cette Europe depuis l’ouest de la France, non loin des côtes atlantiques. Jusqu’ici sur la côte bulgare, battue par les vagues hivernales de cette mer installée entre le vieux continent, le Caucase et l’Anatolie. C’est la fin de quelque chose, l’ouverture vers autre chose.


Nous nous sommes arrêtés ici, à Primorsko, une petite ville sur les bords de la mer noire. Il n’y a personne et y avons dégotté un petit appartement bon marché à deux pas du front de mer. Autour de nous, la station balnéaire est fantomatique, complètement vide. C’est calme et ça nous va bien. Il faut dire que nos premiers tours de roues sur le bord de la mer noire n’ont pas été de tout repos, marqués par quelques galères matérielles : crevaisons multiples, bris de porte-bagage, rupture de câble de transmission d'un dérailleur avant et tout ça dans la même journée… ça méritait bien une pause. Une vilaine contracture musculaire à l’épaule pour Julien se rajoute à ce joyeux paquetage. Quelques jours de repos s’imposent. Ça tombe bien, la pluie continue de tomber dehors et la météo n’annonce pas d’amélioration pour les prochains jours. Alors on récupère, on fait des machines à laver, on se prépare de bons petits plats et entre deux averses on sort faire quelques pas sur le remblai dont nous avons l’étrange exclusivité. L’horizon est quant à lui bouché par de gros nuages gris. Et la plage, déserte, semble se reposer de la folie estivale. Dans le centre-ville, quasiment tous les commerces sont fermés et des dizaines d’hôtels vides se tiennent de chaque côté des rues, comme de stoïques soldats à qui on aurait donné l’ordre d’attendre ici sans bouger, que quelque chose se passe. On profite du silence, tout en se disant que ce n’est sûrement pas la destination qu’on aurait choisi si nous étions passés par là en pleine saison. On ne s’attarde pas trop dehors car la pluie reprend et ce serait bête de ne pas profiter du toit et des quatre murs qui nous attendent au bout de la rue.


On profite pleinement du confort que nous procure notre hébergement en écoutant l’averse qui vient s’étaler délicatement, dans un bruissement régulier et doucement percutant sur la porte vitrée de l’entrée. On se fait chauffer un peu d’eau et on se souvient des derniers jours, des derniers kilomètres avant cette pause. D’abord, il y a eu le départ de Sliven, sous les yeux rougis d’émotion de Valeriy. Cette rencontre exceptionnelle et pleine de simplicité restera inoubliable pour nous. Valeriy et Maria nous ont accueillis comme si nous étions des membres de leur famille, se mettant en quatre pour qu’on soit le mieux possible. Tout de suite, un bon courant s’installe entre nous. C’est curieux, mystérieux ces situations, ces rencontres, cette alchimie qui se créée entre les hommes. Dans un monde qu’on pourrait croire fait de méfiance, de compétition, de comparaison, de jugement…Ici, rien de tout cela. Le savoir de l’accueil, la joie de partager et l’ouverture de ces beaux gens font du bien. Ils nous invitent spontanément et on répond à l’invitation avec simplicité. Le hasard de ces rencontres les rendent belles et savoureuses. Nos allures loufoques de voyageurs des jours de pluie participent inévitablement à créer ce climat ; comme un terreau à la rencontre. Les très nombreux encouragements et attentions que nous recevons tout au long de notre parcours en témoignent. Après coup, en creusant un peu, on se rend souvent compte que quelque chose déclenche cette apparente spontanéité. Valeriy est lui aussi cycliste. Il a voyagé en Bulgarie, Turquie, Grèce et sûrement encore dans d’autres contrées. Il a même participé en 1999, et il n’en est pas peu fier, à la cyclo sportive « Paris-Brest-Paris ». Depuis, ils ont aussi entrepris quelques virées en tandem avec Maria. Nous resterons quelques jours chez eux, profitant de leur chaleureuse maison de famille, des sentiers et du téléphérique qui nous hissera au sommet de la montagne bleue juste à côté. Mais à un moment, cela n’est plus une surprise, l’envie de repartir et d’avancer est plus forte et c’est donc sous le beau et rafraîchissant soleil du 6 janvier que nous décidons de repartir.


Une belle étape nous attend ; 91 kilomètres. La route empruntée est assez passagère, mais le vent nous pousse et la motivation de rejoindre la mer noire aussi. On roule toute la journée l’esprit bercé par les souvenirs des bons moments passés chez Valeriy et Maria. En fin de journée, on quitte enfin la grand’ route pour une plus petite. Vite, nous arrivons dans le village de Mirolyubovo ; un village qui ressemble à pas mal de bourgs traversés ces derniers jours. Une église, une grande place, une épicerie sous la mairie devant laquelle quatre bonhommes sirotent des cafés en balançant de grands rires sans aucune retenue. Juste en face, une fontaine à côté de l’église. Voyant la nuit arriver et ne sachant pas encore où l’on va dormir on décide de faire notre réserve d’eau pour le soir. Ça nous servira pour la cuisine, la toilette et évidemment pour s’hydrater. Un homme s’affaire à nettoyer les alentours de l’église. On s’approche et on s’assure auprès de lui, avant de remplir gourdes et bouteilles, que l’eau est bien potable. C’est le cas, mais malheureusement, le robinet vient d’être coupé pour éviter tout accident lié au gel. Ni une ni deux, il nous entraîne dans la mairie, traversant la place et passant devant les bonhommes qui observent notre passage avec autant de discrétion que les rigolades à gorges déployées qui remplissaient l’espace sonore quelques instants auparavant. Tout en remplissant nos gourdes, on en profite pour se renseigner sur un lieu tranquille où l’on pourrait planter notre toile de tente. L’homme, qui s’avère être un employé municipal, nous indique le petit parc pour enfants qui jouxte la mairie. C’est pas mal, mais c’est pas le top non plus. Un peu trop près de la route, trop visible et surtout trop exposé au vent. Pas le temps de se poser de question que l’homme revient. Il vient d’avoir le maire au téléphone et nous invite à passer la soirée et la nuit dans une salle chauffée de la mairie. Il s’agit d’une sorte de bibliothèque avec quelques bouquins poussiéreux sur un couple d’étagères et deux ordinateurs ; la médiathèque ! C’est parfait et on s’y installe, toujours aussi surpris par la rapidité et la simplicité de ces hospitalités. Avant de nous laisser, l’homme nous donne ses clés que nous lui rendrons le lendemain matin. Il nous montre aussi les commodités, nous mets à disposition un endroit sécurisé pour les vélos, une bouilloire, du thé, du café et les codes wifi de la mairie. Quoi demander de plus ? On dort parfaitement après avoir profité d’une soirée bien au chaud et du confort des gros canapés rouges qui meublent la pièce. Dehors, le vent s’est intensifié et on se dit qu’on est vraiment pas mal !


À 8h, après avoir remis les clés à notre agent municipal qui parle un anglais impeccable, on repart sous un beau soleil et des températures très clémentes. Conditions idéales pour rouler. Très vite, au bout de quelques kilomètres, entre deux vallons, on commence à l’apercevoir, ou plutôt les reflets du soleil qui percent et pointent entre les nuages ; la mer noire ! Le vent nous pousse et ça descend. On rejoindra vite Nesbar et sa vieille ville où nous prendrons le temps de flâner. La journée est belle et un léger vent s’occupe avec amusement à agiter les quelques drapeaux et les coiffures soignées des promeneurs.


Nous voulons désormais rejoindre Burgas, à quelques kilomètres au sud. Après un moment à étudier la carte, on se résout à faire demi-tour. En effet, le littoral à ce niveau là n’est pas vraiment propice à la balade à vélo. De grands complexes hôteliers et un réseau de voies rapides un tantinet gênants nous bloquent la route. Ils nous obligent à revenir une quinzaine de kilomètres en arrière et cette fois, nous prenons le vent en pleine poire. Un interminable faux plat montant ajoute à pénibilité du demi-tour. À Kableshkovo, on reprend enfin la direction du Sud ; le vent est toujours puissant mais cette fois de côté. C’est déjà moins dur. 


Burgas. On s’y arrête pour la nuit, profitant d’une promenade nocturne dans ses grandes rues commerciales et le long du gigantesque port. Le lendemain, nous sommes le 8 janvier et nous nous félicitons de nos 5 mois de voyage. La fête est de courte durée et la journée est marquée par une ribambelle de pépins matériels. La petite route que nous empruntons est en bien mauvais état, pleine de nids de poule(s) - je ne sais pas si elles étaient une ou plusieurs… -. Toujours est-il que mon porte bagage avant n’y résiste pas. Une fixation se brise nette et une autre ne tient plus qu’à un fil. Arrêt net et réparation de fortune à l’aide de ruban adhésif et de serre-fils en plastique. Ça tiendra le temps que ça tiendra… À peine quelques kilomètres plus loin, dans le bourg de Chernomorets, Camille est victime d’une triple crevaison ! Qui dit mieux ? On passe un peu de temps à réparer et on ne tarde pas à se faire remarquer par un homme qui nous conduira vers un super spot de bivouac sur le bord de la mer noire. Tout en suivant son 4x4 pétaradant, comme si ça ne suffisait pas, mon câble de transmission pour le dérailleur avant cède. Là, on commence à être pas mal pour une seule et même journée. On s’efforce de garder le sourire. Camille monte et organise le campement tandis que je remplace, à la frontale, le câble du dérailleur. Le vent souffle avec une certaine puissance et la nuit est annoncée pluvieuse. Notre réchaud montre quelques limites face aux mauvaises conditions météorologiques et nous fera terminer cette idyllique journée devant une assiette de pâtes tièdes et pas vraiment cuites…. Enjoy ! 


Au réveil, la pluie tombe et tambourine la toile tendue de notre petite tente. On y reste un moment, au chaud et au sec. Pour moi, les ennuis continuent ; la nuit n’a pas été bonne. J’ai une vilaine contracture à l’épaule gauche qui se transforme vite en une sorte de gros torticolis. Ça, c’est vraiment pas drôle. La météo des prochains jours s’annonce catastrophique avec des pluies quasi ininterrompues. Alors on décide de se trouver un hébergement pour laisser passer cet épisode pluvieux et laisser le temps au corps de se remettre de ses malheurs. On trouve assez rapidement, à quelque 30 kilomètres de là, un petit appartement bon marché. Il se situe à Primorsko et est équipé d’une cuisine, d’une machine à laver, d’un lit et d’un chauffage. Le tout pour 10€ la nuit : c’est parfait. On se met alors en route, pliant le campement sous une pluie plus calme mais persistante. Les 30 kilomètres se font difficilement pour moi. Ils me paraissent même interminables car il m’est délicat de tenir le guidon de la main gauche et de tourner la tête. De plus, il fait froid et la pluie ne s’arrête pas. Malgré ça, les paysages qu’on traverse sont superbes, magnifiés par une humidité ambiante qui crée une sorte de flou sur les forêts, plages et collines. On a l’impression de traverser une peinture à l’huile. Une fois arrivés à Primorsko, nous attendrons encore une bonne heure que l’appartement soit prêt. Une des rares commerçantes ouvertes, nous offre un thé pour nous réchauffer et à 14h, on entre enfin dans notre petit appartement où la douche chaude est la bienvenue. Je passerai une bonne partie de l’après-midi à dormir. 



Nous décidons de rester là quelques jours afin de récupérer complètement et d’attendre la fin de cet épisode de pluie intense. Nous profitons de ces moments pour sélectionner quelques photos qui alimenterons notre blog et élaborer quelques plans pour la suite. En partant vers le sud nous nous dirigeons vers la Turquie. Désormais nous n'en sommes plus qu’à une centaine de kilomètres et on ne vous cachera que nous sommes très attirés par cette nouvelle culture et des températures méditerranéennes qu’on trouvera là bas. Istanbul est à 300 kilomètres, soit environ 6 jours de bicyclette. Nous restons néanmoins prudents car il nous faudra à nouveau passer un test PCR pour franchir la frontière. Nos expériences passées nous ont montrées qu’on est jamais sûrs de rien avant que tout arrive !

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