On tourne en rond ? - Km 6143,5

Au départ de Berat, nous avons reconstitué notre quatuor franco-belge. On prend du plaisir à rouler tous les quatre et on rejoint la ville de Çorovodë. Nous y planterons nos tentes près d’un vieux pont à la sortie de la ville sous le conseil bienveillant d’un policier municipal. On y dort fort bien, même si les nuits sont de plus en plus fraîches et que le thermomètre s’approche des 0 degré la nuit. Nos sacs de couchage s’avèrent efficaces et on en profite pour remercier Pierre Jaumouillet pour ses conseils. La tente fait, elle aussi, très bien son boulot. Au réveil comme souvent, le paysage qui nous entoure à une autre allure ; c’est magnifique, assez magique ces montagnes, la légère brume, le soleil qui illumine comme il peut les creux de ces rochers géants. Le vieux pont qui enjambe gracieusement la rivière asséchée complète le décor. Quelques vaches passent avec leurs vachers. On prend un bon petit déjeuner et on remonte sur les biclous. On repassera par la ville pour faire des réserves d’eau et on se lance à travers les montagnes pour rejoindre Permët. Sacrée étape. Sans doute une des plus difficiles. La route est en mauvais état et le dénivelé redoutable. Après de gros efforts, on arrive à hisser nos vélos au sommet du parc naturel de Bredhi Hotoves. Comme souvent, ces étapes difficiles nous offrent des vues splendides et des ambiances indescriptibles. 1233 mètres de dénivelé positif sur une route caillouteuse, ça fatigue un peu les bonhommes. La descente s’avère ne pas être beaucoup plus reposante et a même raison du porte-bagage de Camille ! Ça devait arriver… On finira l’étape en se partageant ses sacoches avant avec Wynona pour rejoindre Permët. On s’installe dans une auberge avec vue sur la place centrale et on mange de bons « Souflaki » dans un fast-food juste à côté. Pour le moment, on va se reposer et on verra pour le porte-bagage demain matin. « Ahorita » comme disent les colombiens. On se couche pas tard ; on a pris cette habitude à dormir dehors et on profite à fond d’une nouvelle nuit entre 4 murs.


Au matin, un grand petit-déjeuner nous attend. On se régale et on décide d’aller voir à une quinzaine de kilomètres d’ici les sources chaudes de Benjë. Il paraît que ça vaut le coup, mais avant ça, il nous faut réparer le porte-bagage… Le gérant de l’auberge qui a compris qu’il y avait un problème a fait appel à un de ses copains mécanicien. Quelques minutes plus tard, le type en question arrive avec une mobylette et m’invite à le suivre avec le vélo. Je me exécute aussitôt, grimpant sur le vélo de Camille, le porte-bagage bringuebalant dans un joyeux tintamarre. On arrive vite à son garage qui semble plutôt dédié aux autos. Il y a de la vie autour du garage, un bistrot, des petits immeubles en face, un peu de bazar sur le trottoir, de bonnes odeurs de nourriture mélangées aux odeurs d’huile de moteur. Des sons pétaradants aux alentours et des exclamations amicales de ci de là.

Analyse du problème, brève réflexion. Un tour de mobylette pour aller se procurer les pièces : des colliers plus robustes et hop au boulot. 2h plus tard, le porte bagage et fermement fixé à la fourche du vélo. Là, on se doute que c’est de la réparation solide et qui devrait tenir. Un petit coup de meuleuse pour finir le chantier et on repart en direction des sources chaudes. Mais on a une mauvaise surprise après quelques kilomètres ; Camille se rend compte qu’il y a un souci avec son frein avant. Oups… En fixant le porte-bagages, notre vaillant réparateur a aussi bloqué le frein à disque. Pas cool. Nous voilà donc au milieu d’une route sans village, avec une roue bloquée. 

Après quelques secondes de réflexion, je me lance à démonter le porte bagage, le repositionne du mieux possible et installe un morceau de liège, histoire qu’il ne gêne plus le système de frein. Ça fonctionne. On profite de l’arrêt pour pique-niquer et on repart. Il nous aura donc fallu la journée pour faire seulement 15 kilomètres. Mais c’est la vie et on est bien contents d’arriver dans ce décor magnifique, où une légère odeur de souffre enveloppe les lieux. Il est 15h30 et là fraîcheur commence à tomber. On décide qu’on dormira là ce soir pour mieux profiter du lieu le lendemain. On y rencontre un couple de retraités en camping-car venant d’Angers. Ils nous dépanneront d’une bouteille d’eau pour passer la soirée et faire notre cuisine. On fait aussi la connaissance d’une famille canadienne voyageant depuis 3 ans autour du monde avec leur impressionnant Van. 

Après un petit bain à 27 degrés pour Camille, on occupera le reste de la soirée par la préparation du feu pour le soir et le montage de la tente. On partagera notre feu de camp avec un hippie Tchèque installé là depuis environ une semaine avec son petit camion. La nuit est très fraîche, mais on dort bien. Le matin, c’est majestueux et je décide à mon tour d’aller me baigner. Il ne fait que 1 ou 2 degrés dehors, mais c’est trop bon d’être dans cette eau chaude avec des paysages incroyables tout autour, seul. En sortant, c’est un peu plus frisquet, mais en se séchant vite et en avalant un bon thé chaud, ça le fait ! 

On repart dans la matinée et décidons de prendre la direction de Gjirokastër. Nos compagnons de route belges repartent en direction de la mer et de Vlorë. Même si on a adoré partager ces quelques jours avec eux et qu’on gardera inévitablement contact, on est assez heureux de se retrouver tous les deux. On pédale sur du plat et ça fait du bien. On sent que nos organismes apprécient ce rythme plus régulier. Tout en pédalant, on récupère. Le vent nous pousse jusqu’à Gjirokastër. On s’y installe dans une auberge car les nuits sont vraiment de plus en plus fraîches dans la région et on a même eu quelques gouttes de pluie en fin d’étape et Gjirokastër est une ville importante où il est un peu moins simple de trouver des coins de bivouac. Ces auberges sont aussi l’occasion de croiser d’autres cyclo voyageurs ou autres voyageurs à sac à dos. On y rencontre d’ailleurs un anglais et un français à bicyclette, et on y passe une bonne nuit malgré la douche froide et les ronflements des voisins dans le dortoir. Et puis les prix ne sont vraiment pas élevés, alors on en profite. 

Nous poser à l’auberge nous aura aussi permis de laisser nos vélos la matinée et d’aller faire une visite du magnifique château qui surplombe la ville. On y découvre une richesse d’architecture, une vue époustouflante sur la cité et les montagnes. On y fait aussi la rencontre de David, un homme d’une cinquantaine d’années, ancien médecin, qui a tout lâché pour vivre « comme un vagabond à travers le monde ». Son sourire et sa joie de communiquer en disent long sur son bon choix. Il rayonne. Nous échangeons nos comptes Facebook et repartons chacun de notre côté.

Pour nous, l’heure est à la réflexion. On ne sait plus trop quoi faire pour avancer dans notre voyage. On a l’impression d’être dans une impasse. Bien sûr, il nous reste encore plein de choses à découvrir en Albanie. Mais nous n’avons plus trop de point de mire si ce n’est la Grèce apparemment inaccessible par la terre… La situation aux frontières est assez obscure et il nous est difficile d’avoir des informations claires. On ne se fait pas trop d’illusions et on admet qu’il sera vraiment complexe de rejoindre la Grèce par voie terrestre avant un bon bout de temps. Alors le temps que nos esprits travaillent à trouver une idée, on décide de ralentir encore et de profiter de tout ce qu’on croise. Ça sera le cas ce jour-là, en partant de Gjirokastër. Quelques kilomètres plus loin, on fait un détour par la cité antique d’Hadrianopolis au beau milieu de la vallée. C’est très calme, il n’y a personne. Il est à peine 14h, mais on décide qu’on dormira là, au milieu du théâtre antique et de ses ruines. On laisse la nuit tomber et on s’installe. Les étoiles sont incroyables de luminosité. Le silence est formidable, la fraîcheur saisissante. On se glisse rapidement dans nos sacs de couchage et on passe une bonne nuit. Le réveil est très très frais. La porte de la tente est givrée, mais quel spectacle grandiose autour de nous. On est bien rêveur. Profitant de ces moments de poésie concrète que nous croisons en chemin, mesurant une nouvelle fois notre bon choix de nous être provoqué cette chance, d’avoir provoqué ce voyage.

Désormais, nous sommes à une quinzaine de kilomètres seulement de la Grèce. À à peine 80 kilomètres de Ioannina où l’on pourrait passer du temps avec la famille et les amis de Olga. Mais à cause de ce satané virus, il va falloir patienter. On décide de prendre la route vers l’ouest, direction Sarandë. On s’arrête pour la pause casse-croûte au « Blue Eye » (pas très albanais comme nom de patelin…), un chouette endroit au milieu des montagnes, où l’eau est translucide. On y passe un moment, réparant une crevaison, lisant auprès de l’eau, jouant un peu de trompette. Puis on refait quelques kilomètres sur nos bicyclettes afin de découvrir le magnifique monastère de Mesopotam. Là aussi, c’est bien calme, très beau et on hésite un moment à y poser la tente pour la nuit. Il y a juste un portail à l’entrée du chemin qui nous fait un peu peur. Sait-on jamais. On pourrait bien se retrouver enfermés là et on n’aurait pas l’air malin. Alors on décide de redescendre au village et de demander au premier bistrot croisé. La femme qui le tient nous invite sans hésiter à installer notre tente sous le petit préau de son établissement qui fait aussi restaurant. On y passera la soirée mangeant comme des rois et profitant de la plaisante ambiance locale. On nous y offre pas mal de tournées…

Le lendemain matin, on traîne encore un peu sur la terrasse avec un café qui nous réchauffe. On profite du ballet des véhicules, bus, camions qui manœuvrent devant nous. Jamais d’énervement, toujours calme mais avec une énergie active et fourmillante. On se secoue un peu pour décrocher de ce spectacle sans fin et on retourne profiter du calme du monastère et de son ensoleillement. Et oui, on prend le temps. On n’hésite pas à faire de grandes pauses mettant à profit le temps que la situation sanitaire semble vouloir nous imposer.

C’est en tous cas bien rechargés de bonnes énergies que nous repartons pour une petite boucle dans la réserve naturel au sud de Sarandë. Paysages grandioses, route enivrante. On profite à fond. On sent que le climat se réchauffe et que l’ambiance change en rejoignant la côte. On plantera la tente le soir dans un jardin sur les hauteurs du petit village de Monastir sans savoir beaucoup d’échange avec la dame qui nous a ouvert sa propriété. Les rencontres se suivent et sont singulières. C’est comme ça, c’est le voyage. En tout cas, on y est bien. Le jardin est clos, évitant l’intrusion des chiens errants aux alentours. Au loin, on voit la mer et les montagnes qui s’y jettent sans tergiversations. On entend tinter les cloches des moutons et vaches un peu partout, depuis les flancs des montagnes. Le village, lui, est silencieux, principalement occupé d’appartements pour la saison.


25 novembre, jour 109, 6100 kilomètres et des brouettes. On poursuit notre remontée de la côte vers le nord. On passe rapidement dans la ville touristique de Sarandë. C’est bétonné, pas bien beau. On prend quand même le temps d’un café-byreks qui contente nos estomacs. La route est casse-pattes. On s’attendait pas tout à fait à ce relief pour une route de bord de mer. Mais ici, les montagnes se jetant directement dans la mer, les routes sont inévitablement et naturellement pas très plates…

Pour cette étape, nous avions repérés un bon spot pour le pique-nique. La plage de Kakome avec son château et ses monastères au milieu des montagnes. La plage « arc-en-ciel » qu’ils disent… Il nous faut pour la rejoindre s’éloigner un peu de la route principale d’environ une dizaine de kilomètres. Sa monte raide pendant un moment et ça redescend aussi sec. Personne sur la route, mais ça, ça nous inquiète pas plus que ça. On en a un peu l’habitude. Arrivés près de notre but, après un bel effort pour gravir cette bonne côte, on tombe sur une barrière de chantier qui nous barre efficacement la route. Pas moyen de passer. Mince alors. Tous ces efforts pour ça… Ah, attendez... un agent en uniforme sort d’une petite cabane. On lui demande si le site est fermé. Il nous fait comprendre que oui, et après quelques secondes de pause, avec un regard malicieux, il nous dit que moyennant 500 leks chacun ou quelques euros, on pourra entrer. Ne cédant pas à un tel chantage légèrement teinté de corruption, on fait demi-tour et on retourne sur nos pas, nous dressant sur les pédales pour gravir la pente qu’on vient de joyeusement dégringoler quelques minutes auparavant. Malgré ce petit aléa, le paysage est splendide et on pose nos bicyclettes sur le bord de cette route déserte pour un pique-nique 5 étoiles. Nous rejoignons Borsch quelques dizaines de kilomètres plus loin, bien fatigués par un terrain toujours très casse-pattes. On trouvera rapidement une cabane sur la plage déserte où nous passons une nuit légèrement animée par un chiot ayant décidé de jouer, entre 1h et 3h du matin, avec la bâche qui couvre nos vélos et une de mes chaussures. Depuis l’intérieur de la tente, Camille se marre alors que j’essaie de chasser le féroce animal qui semble plus enjoué qu’effrayé par mes gesticulations. Le chiot fini par se caler dans un coin de la cabane et repartira passer sa fin de nuit avec sa maman un peu plus loin…. 

Au départ de Borsch, la route est particulièrement épuisante. On est aussi fatigués par les difficiles routes albanaise et les bivouacs successifs. Aussi, nous pensons à la suite de notre voyage en sentant bien que l’étau se resserre doucement et on a du mal à trouver une issue simple. Ça travaille un peu le ciboulot. Nous nous sentons bien en Albanie, mais cette impression d’être contraints à rester dans le pays, nous révèle notre soif d’avancer et d’être en mouvement. Alors on continue de remonter en direction de Vlorë. Peut-être qu’on tentera une traversée vers l’Italie, mais si c’est pour y trouver un pays paralysé où rien ne vit, c’est pas fun. On a aussi beaucoup de mal à récolter des informations sur un éventuel transit vers la Grèce. Heureusement, les copines grec Olga, Xristina et Emma nous donnent des infos en temps réel et ça nous aide un peu à garder espoir pour la suite. En attendant, on pédale et dès qu’on est sur le vélo, on est bien. Plus besoin de penser, juste de profiter du temps et du bien-être que procure le pédalage. Bon, ce jour-là, on fait quand même beaucoup de pauses car les jambes commencent à être lourdes. On découvre Himarrë et sa vieille ville vide, mystérieuse, silencieuse et ressourçante. Bon et agréable moment de pause. On pose les vélos près de l’école et on explore les charmantes petites rues pierreuses et puis on se remet en selle, s’arrêtant au hasard d’une route dans le petit village de Ilias, où trône une toute petite fontaine délivrant l’eau de la montagne. On s’y ravitaille en eau potable et on se rend vite compte que c’est le centre névralgique du village. Tous les habitants viennent faire leurs réserves d’eau ici. Il est à noter que l’Albanie n’a pas de raccordement en eau potable dans les maisons. On échange avec les gens des sourires. On tente quelques discussions, ça parle fort, des bergers passent avec des moutons, les villageois s’interpellent d’un bout à l’autre du bourg. On s’arrête là un moment, profitant du beau spectacle et de cette jolie vie de village. On finit par demander à un jeune homme un coin pour dormir et on nous indique 2 ou 3 parcelles d’oliviers non loin d’ici où l’on peut installer sans problème notre tente. La nuit sera égayée par de très nombreux aboiements de chiens peut-être dûs à l’arrivée de la pleine lune ou alors de l’écho dans le canyon un peu plus bas. On ne dort pas très bien, mais on est quand même contents et on se sent privilégiés de bénéficier de ces endroits uniques et d’un environnement qui change à chaque bivouac.

Le matin, on prend notre temps pour remballer. Il y a un peu de passage. Les gens sont amusés de voir qu’on a dormi là et semble nous prendre pour des fous d’oser dormir dehors à cette saison. Il nous encourage pour notre voyage par des bravos et des pouces en l’air. Les sourires sont quasi omniprésents et tout ça, ça fait qu’on kiff l’Albanie !

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