Shkrodër, Albanie - Km 5452

Depuis hier soir, nous sommes en Albanie. Chuck et Susan, deux expatriés américains membres du réseau « warmshowers », nous ont ouverts les portes de leur appartement avec beaucoup d’enthousiasme. À l’extérieur c’est sacrément vivant et on aime beaucoup la première impression que nous fait ce pays, cette ville. On pense y rester quelques jours le temps de récupérer tranquillement et de réfléchir sereinement à la suite de notre voyage. Les derniers jours ont été exigeants avec beaucoup de dénivelé positif.

Depuis Kotor, nous avons traversé le grandiose et magnifique parc naturel du Lovćen. Des routes incroyables, vertigineuses. On prend de la hauteur, beaucoup de hauteur. En bas, la baie de Kotor. De plus en plus petite. Nous monterons pendant plus de 25 kilomètres partant du niveau de la mer et dépasseront les 1400 mètres. Nos petits mollets sont encore un peu endoloris par de terribles et longs passages à 11%. On va loin dans l’effort, on dépasse les nuages ; ambiance brumeuse. Il fait de plus en plus frais, de plus en plus vert à mesure qu’on entre dans le parc naturel. Et puis c’est la descente vers Cetinje après avoir déjoué le plan rusé d’un garde forestier voulant nous faire payer l’accès à... la route. On ne fait pas la descente à fond car on veut profiter encore plus des paysages fabuleux, pierreux, abruptes qu’on traverse. On se couvre bien pour ne pas tomber malade car on a quand même pas mal transpiré en montant. Pause sur les hauteurs d’une petite ferme où se promènent deux vaches. On pique-nique.

Aux alentours de 15h, nous arrivons à Cetinje. La luminosité commence déjà à être faible. On s’assoit à la terrasse d’un café. On y capte le WiFi et recevons un message de Marie, une autre cyclo-voyageuse rencontrée à Kotor il y a quelques jours. Elle est toujours à Cetinje et ne tardera pas à nous rejoindre. On se dirigera ensuite vers l’immeuble où elle loue un petit appartement pour la nuit. Nous louerons celui d’à côté avec cuisine et balcon pour 20€. Déco bien dans son jus, un peu comme la ville qu’on croirait bloquée dans une autre époque. Nous passons dans un bar tenu par des trentenaires « branchés ». Nous nous sentons fort bien dans cette petite ville de l’arrière pays qui est considérée, il faut quand même le préciser, comme la capitale historique du Monténégro. Le président de la République y a même sa résidence principale. Les gens sont dehors. Beaucoup de jeunes, de la vie. Un rythme global qui suggère une existence paisible, douce. Les couleurs sublimes de l’automne y ajoutent une douceur chaleureuse. La soirée se terminera dans la cuisine de notre petit appartement où nous échangeons avec Marie sur nos trajets, nos rencontres et aussi sur nos doutes et inquiétudes pour la suite. C’est bon de pouvoir échanger sur ces différents points, et ça nous aide à éclaircir un petit peu la suite de nos aventures.

Le lendemain, nous décidons de rouler tous les trois. C’est la première fois depuis le début de notre voyage que nous partageons une journée avec une autre voyageuse à vélo. C’est agréable, et rigolo de comparer nos allures, de voir le temps, les pauses, l’énergie déployée, les réactions d’émerveillement face aux paysages qui défilent. On voit aussi que les difficultés sont bien les mêmes pour tous ; plutôt rassurant.

Le départ de cette journée s’avère un peu mouvementé. Quelques mètres après notre départ, Camille est encore victime d’un rayon cassé sur sa roue arrière. On sent que nos bécanes commencent à sérieusement fatiguer après 5000 kilomètres. Ni une ni deux, Marie toujours pleine d’énergie saute sur son vélo et demande de l’aide à Vasco, un artiste-designer qu’elle a rencontré la veille et qui tient un petit atelier non loin de là. Quelques minutes plus tard, un mécanicien débarque et démonte la roue du vélo sur le trottoir, se gratte la tête, fait deux ou trois aller retour, nous paie un expresso et finit par m’embarquer avec la roue dans sa camionnette. Direction un petit quartier de la ville où se situe quelques immeubles qui sentent bon la lessive et où les gens se saluent tous. On s’engouffre dans un sous-sol. Une petite pièce qui sent un peu le renfermé ; c’est là que ça va se passer. Sans un mot, on passera une heure et demi, peut-être deux à bricoler tous les deux. Le temps est comme suspendu, la réparation prétexte a un échange humain sans parole d’une intensité mystérieuse. La musique, quant à elle, grésille tendrement sur une petite enceinte bricolée au plafond et se charge, sans déranger, de remplir l’espace sonore.

Rayon changé, roue redressée à l’aide d’un outillage fait-maison, on ressort du sous-sol. L’homme me lance avec un regard brillant : « papa spirit ». Je comprends alors que nous étions dans l’atelier de son père. Je croise d’ailleurs sa maman à la sortie de l’atelier qui me propose spontanément à manger et à boire pour avoir des forces pour la route. Elle me fait aussi comprendre que son fils est très doué pour tout réparer et qu’elle en est très fière.

Nous regrimpons dans la camionnette et rejoignons les filles assises sur le trottoir ; le violon est de sorti et le soleil chauffe la petite vitrine devant laquelle sont étalés nos trois vélos ainsi que les sacoches démontées du vélo de Camille. On remonte la roue, on graisse le tout. Le mécanicien dont nous n’avons pas réussi à comprendre le prénom, refuse qu’on le paie. À la place, il nous emmène même dans un très joli restaurant de la ville afin de nous offrir un dernier café. Avant ça, nous lui jouons quelques airs poitevins pour le remercier ; Camille au violon et moi profitant d’un piano qui traîne ici. Il a l’air de bien apprécier ce concert privé. Séance photo et on grimpe enfin sur nos bicyclettes, bien caféinés et heureux de reprendre la route après ces quelques péripéties.

Étape descendante ! On plonge littéralement vers le Skadar Lake qui s’étend entre le sud du Monténégro et le Nord de l’Albanie. Magnifique, impressionnant Skadrasko jezero ! Encore un nouvel environnement, une nouvelle claque pour les yeux et nos petits esprits de voyageurs contemplatifs. Pique-nique en hauteur et en admiration devant les différents oiseaux et insectes occupant les lieux. On se sent boostés par le pouvoir énergisant de dame nature. Surpris de voir les bienfaits et le bonheur ressenti, s’approchant d’une vitesse de vie relativement raisonnable vis-à-vis de cette dernière.

16h, arrivée à Vilpazar, petite ville touristique au bord du lac. On a sacrément descendu. Un homme ne tarde pas à nous remarquer et nous saute dessus, nous proposant un endroit sécurisé pour nos vélos, une nuit à un tarif défiant toute concurrence, petit déjeuner offert, dîner offert, etc. Un peu douteux des fins de la démarche et ayant très envie de profiter des températures encore très clémentes pour la saison, nous esquivons gentiment l’offre. Tant mieux car nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’une sympathique arnaque qui nous aurait attiré quelques mauvaises aventures. La nuit tombe, 16h20. On a repéré sur la carte un petit camping à un kilomètre du village. Bien qu’un peu inquiets par l’humidité ambiante et la forte probabilité de trouver porte close, on se lance. Au pire ça sera camping sauvage. Surprise en sortant du village d’apercevoir au loin Winona et Lukas, un couple de belges croisés à Kotor quelques jours plus tôt. On leur fait de grands signes depuis l’autre rive mais on poursuit notre route pour ne pas nous mettre trop dans la nuit. Finalement, on s’arrêtera rapidement dans le jardin de deux jeunes filles aménagé très simplement en camping. Pour nous, ça sera parfait. C’est rustique : douche à l’extérieur, petite cabane pour passer du bon temps, plaques de cuisson délivrant de généreuse décharges électriques... On pose nos tentes et quelques minutes plus tard, Winona et Lukas, joints par Marie, nous rejoignent avec un autre couple belge : Romain et Nadège qui voyagent en van depuis environ 2 mois. On passe à nouveau une bien bonne soirée et une douce nuit. La météo vraiment très bonne et les températures clémentes nous permettent de dormir dehors sans avoir froid.

Le lendemain, nous repartons tous les deux. Notre décision est prise, nous prenons la direction de l’Albanie en longeant le magnifique Skadar Lake. Malgré les inquiétudes et la possibilité d’un confinement, nous poursuivons l’aventure. L’envie de se plonger dans une nouvelle culture est trop forte. Marie de son côté prendra la route de Podgorica, la capitale monténégrine puis du parc Durmitor tout au Nord du pays.

Ces derniers kilomètres avant la frontière albanaise sont splendides. 3 bonnes ascensions sur la première partie de l’étape viennent durcir un peu les mollets. On trouve à nouveau une atmosphère complètement différente, un changement culturel et religieux. On aperçoit les premiers minarets, de nombreux petits cimetières musulmans. Des forêts de châtaigniers immenses, sans doute très vieux qui jalonnent notre parcours. L’esprit s’évade vers des souvenirs d’enfance. Café turc en traversant Mali Ostros ; on profite du WiFi pour contacter Chuck et Susan nos hôtes « warmshowers » ici à Shkodër. Ils nous informent que Mathieu, Stéphanie et leurs deux garçons – famille française croisée à la frontière entre la Croatie et le Monténégro – y sont depuis la veille. Nous sommes heureux à l’idée de les rencontrer à nouveau.

Le dernier sommet du jour nous dévoile l’Albanie ! Impressionnante plaine après toutes ces montagnes. Descente ébouriffante, passage du poste frontière sans souci, sans test Covid.

Dès la frontière, on sent un virage culturel cinglant. Beaucoup d’hommes aux terrasses des cafés, des enfants dans les champs qui gesticulent et crient « hello hello ! » à notre passage, des femmes en amazone sur des motos, etc. Puis, après quelques kilomètres de plat (ça faisait longtemps que ça n’était pas arrivé), on entre dans Shkodër. Ambiance particulière, circulation assez dense et douce. On ne se sent jamais en danger malgré le trafic et la conduite assez artistique de certains automobilistes. Beaucoup de bicyclettes et de piétons sur la route. C’est fluide. Quelques slaloms entre les voitures et quelques traversées acrobatiques de carrefours nous conduisent chez nos hôtes du soir. Tout le monde est dehors ; la famille teste les vélos couchés de Susan et Chuck.

Après des présentations rapides et le déchargement de nos vélos, nous nous installons dans un grand appartement. On se sent immédiatement à notre aise. Ce soir, c’est la famille française qui cuisine un couscous... Miam ! On passe une excellente soirée. On s’accroche un peu pour suivre les discussions, le niveau étant monté d’un cran avec l’accent américain de Chuck et Susan. Après le repas, c’est dodo. Six personnes dans le salon, qui en a déjà contenu neuf... On installera nos matelas au sol,

« touche-touche ». C’est convivial. Le sommeil est réparateur et Camille tente de réguler tant bien que mal mes ronflements afin de préserver de bonnes relations avec nos amis français.

7h, réveil. Départ pour la famille française qui prend la direction de Durrës. Peut-être y trouveront-ils un ferry en direction de Bari en Italie pour ensuite faire la liaison avec la Grèce. La situation sanitaire ne s’améliore pas et il se pourrait bien que le gouvernement grec, après avoir confiné quelques grandes villes au Nord du pays, décide d’un confinement national. Nous sommes souvent en communication avec Xristina, Olga et Emma, nos amies en Grèce qui nous transmettent les dernières nouvelles. De notre côté, on ne va pas s’angoisser et prendre notre temps en espérant que la situation puisse s’améliorer dans un futur proche. En attendant, on regarde cette chouette famille s’éloigner dans la ville. Ils sont beaux, colorés, les drapeaux des pays traversés qui flottent derrière les vélos des enfants.

Quelques minutes plus tard, nous sommes nous-mêmes dans les rues. Susan nous embarque dans cette ville qu’elle connaît, qu’elle aime. On s’imprègne. On y passe la journée, sans rien faire de particulier si ce n’est de profiter du doux soleil d’automne qui nous réchauffe, des rues, de la nourriture fabuleuse, du mélange des sons de la ville, de la belle circulation et de l’énergie bienveillante dégagée par les gens qui font frémir cette charmante cité.

À la nuit tombante, nous rentrons. Dans l’entrée, deux nouveaux vélos. Ce sont ceux de Lukas et Winona, le couple de belges rencontré à Kotor puis croisé à Vilpizar. Ils sont eux aussi accueillis chez Chuck et Susan ce soir. On passe une bonne soirée tous ensemble. On mange le reste du couscous et on décide, avec l’accord enthousiaste de nos hôtes, de rester au moins une journée de plus. On va ralentir, se reposer, prendre du bon temps. La situation sanitaire va sans doute nous obliger à passer quelques temps ici en Albanie. Freinage forcé, ralentissement. Le rythme de nos journée à bicyclettes depuis quelques mois a créé une sorte de frénésie quasi addictive qui nous pousse à toujours avancer. La situation provoque autre chose et nous nous sentons prêts à nous laisser porter par les événements, accepter avec sérénité et s’adapter quoiqu’il arrive. Une fois que cet état d’esprit est installé – ça ne vient pas tout de suite, il faut un peu de temps -, on peut commencer à voyager

« tranquille ». Comme dirait Chuck : Bingo !

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Commentaires: 4
  • #1

    Isa Talbot (dimanche, 08 novembre 2020 20:23)

    Et bien vous n'allez pas sentir le moisi ! Que d'aventures, que c'est agréable de vous lire ! Bon vent à vous, en espérant que vous n'allez pas rester bloqués trop longtemps. Je vois que vous prenez les choses avec beaucoup de philosophie.

  • #2

    NIBOU (jeudi, 12 novembre 2020 21:01)

    Trop bien de vous lire! Merci pour ces mots qui me font voyager, un peu... Je pense fort à vous et je vous souhaite bon courage pour la suite.

  • #3

    Nadine P (dimanche, 15 novembre 2020 12:02)

    Je viens juste d'avoir votre lien et je découvre les magnifiques images prises depuis le début de votre voyage; comme je vous envie. Vous suivre va être une embellie dans mon confinement. Bon courage et continuez de nous faire rêver. Bises

  • #4

    J'y baraton (vendredi, 20 novembre 2020 11:24)

    Salut ! De la musique, des paysages, des rencontres et j'espère pas trop de galères. Votre voyage fait envie, bonne route à vous !! �